Un long détour par Bombay avec « Shantaram » : une saga extraordinaire dans une Inde miséreuse mais envoûtante

« Shantaram » de Gregory David Roberts : quel roman ! Presque 900 pages dans la version française en petits caractères (édition J’ai Lu).

Je le lis avec passion depuis plusieurs mois, le délaissant pour me plonger dans d’autres romans, mais y revenant toujours avec à la fois l’envie de savoir comment il va se terminer et aussi le besoin de ne pas aller trop vite dans la dégustation tellement un récit d’une telle qualité est rare.

Il y a tout dans « Shantaram »: de l’évasion avec un voyage à Bombay cru et réaliste, une histoire d’amour passionnée et compliquée, beaucoup de suspense, des retournements incroyables, une réflexion sur la vie et sur la mort, beaucoup de justesse dans la description de la condition humaine, de la guerre, de l’amitié et de l’exil, des regrets, de la haine et puis surtout une énorme générosité et une soif de liberté et de paix que rien n’arrête même l’emprisonnement, les scènes de torture affreuses ou le cri des armes.

L’écriture est merveilleuse. Je crois que je n’ai jamais corné autant de pages pour relire les citations incroyables de l’auteur. Le style est un délice. Je l’ai lu dans la traduction française mais j’imagine que la version anglaise doit également être un pur bonheur pour les amoureux de la langue.

Lin est australien. Devenu accro à l’héroïne après l’échec de son mariage et la perte de la garde de sa fille, il est arrêté à la suite d’un cambriolage. Il est en cavale. Il s’est évadé d’une prison australienne de haute sécurité et il est venu se réfugier en Inde, à Bombay, où il espère bien ne pas être retrouvé.

Après avoir rompu les attaches avec son passé, il se plonge dans un Bombay dangereux et inconnu où il lutte quotidiennement pour la vie et la liberté. Il est tour à tour trafiquant de drogue et de faux passeports, apprenti médecin dans un bidonville, complice d’un gang mafieux tout-puissant dirigé par le redoutable Abdel Khader Khan, qu’il finira par considérer comme son père et qu’il suivra au Pakistan et en Afghanistan. Il est aussi amoureux passionné de l’inaccessible Karla …

Il est difficile de recopier dans ce post tous les passages que j’ai soulignés mais j’ai tout de même choisi quelques paragraphes pour vous donner envie de vous plonger dans la vie tumultueuse et assourdissante de Lin.

Quelques extraits :

Le roman commence ainsi :

 » Il m’a fallu du temps et presque le tour du monde pour apprendre ce que je sais de l’amour et du destin, et des choix que nous faisons, mais le cœur de tout cela m’a été révélé en un instant, alors que j’étais enchaîné à un mur et torturé. Je me suis rendu compte, d’une certaine façon, à travers les hurlements de mon esprit, qu’en dépit de ma vulnérabilité, de mes blessures et de mes chaînes, j’étais libre : libre de haïr les gens qui me torturaient, ou de leur pardonner. Ca n’a pas l’air d’être grand chose, je sais. Mais quand la chaîne se tend et entaille la chair, quand c’est tout ce que vous avez, cette liberté est un univers entier de possibles. Et le choix que vous faites entre la haine et le pardon peut devenir l’histoire de votre vie. « 

Page 28 :

« Par-dessus tout, Bombay était libre – d’une liberté exaltante. Je voyais cette atmosphère dépourvue de toute contrainte, partout où je regardais, et je me suis rendu compte que j’y répondais de tout coeur. Même la bouffée de honte que j’avais ressentie en voyant les bidonvilles et les mendiants des rues pour la première fois se dissipait à mesure que je comprenais que ces hommes et ces femmes étaient libres. Personne ne bannissait les habitants des bidonvilles. Leur vie était peut-être pénible, mais ils étaient libres de la vivre dans les mêmes jardins et avenues que les riches et les puissants. Ils étaient libres. La ville était libre. Je l’adorais. »

Page 432 :

« Parce que ce sont des Indiens, vieux. C’est comme ça que nous arrivons à faire tenir ce pays de dingues – avec le coeur. Deux cents langues différentes, bordel, et un milliard d’habitants. L’Inde, c’est le coeur. C’est le coeur qui nous maintient ensemble. »

Page 603 :

« Les larmes naissent dans le coeur. Mais certains d’entre nous dénient toute existence à notre coeur si souvent et pendant si longtemps que ce sont cent chagrins qui s’écoulent lorsque nous laissons enfin parler le coeur parler. Nous savons que pleurer est une chose naturelle et bénéfique. Nous savons que pleurer n’est pas un signe de faiblesse, mais une sorte de force. Pourtant, pleurer nous arrache à la terre, racine après racine, et nous finissons par nous abattre comme des arbres. »

« Shantaram » est en partie basé sur les propres aventures de l’auteur. Le livre a été traduit dans de nombreuses langues et classé parmi les meilleures ventes dans de nombreux pays. Il aurait été écrit en prison. L’Inde y est décrite merveilleusement, de façon très juste et sans misérabilisme excessif.

« Shantaram » fait partie des plus beaux romans que j’ai lus.

Bonne lecture et bon voyage !