Un voyage du Japon à la Finlande avec le dernier roman de Murakami

Mois de novembre pluvieux et gris à Paris. Pas de récits de voyage avant un certain temps. Plongeons nous dans le dernier roman d’Haruki Murakami, « L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage ».

Seul petit bémol M. Murakami, votre livre ne compte que 367 pages dans la version française chez belfond en caractères assez gros ! Après les 3 tomes de 500 pages écrits petit de la trilogie 1Q84, nous restons un peu sur notre faim ! Tsukuru va-t-il retrouver Sara ? Que deviendra leur histoire d’amour ? Quel est le prochain chantier de gare de Tsukuru ? Est-ce qu’il va continuer à voir Rouge, Bleu et Noire ? On attend la suite ou bien une autre histoire, aussi belle et mystérieuse.

« L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage » est un roman beaucoup plus réaliste que la trilogie 1Q84.

Il fait penser à « La Ballade de l’impossible » mais également au merveilleux « Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil » qui fait partie de mes romans préférés.

Comment est-ce possible d’écrire avec autant de douceur et de nostalgie :

« Au fond des ténèbres, je pensai à la mer sous la pluie. Il pleuvait sans bruit sur le vaste océan, à l’insu du monde entier. Les gouttes frappaient la surface des eaux en silence, et même les poissons n’en avaient pas conscience.

Longtemps, longtemps, jusqu’à ce que quelqu’un arrive derrière moi et pose doucement sa main sur mon dos, je pensai à la mer. » Dernière phrase du roman « Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil »

Dès le début de « L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage », nous vivons avec empathie les années où le héros pense exclusivement à la mort.

À Nagoya, où Tsukuru est né, il a vécu une adolescence de rêve avec quatre amis. Ils étaient inséparables. L’un, Akamatsu, est surnommé Rouge ; Ômi est Bleu ; Shirane est Blanche et Kurono, Noire. Tsukuru Tazaki, lui, est sans couleur.

Tsukuru part ensuite à Tokyo pour ses études tandis que ses amis restent à Nagoya.

Un jour, les amis de Tsukuru décident qu’ils ne veulent plus jamais le voir. Sans aucune explication. Lui-même ne cherche pas à savoir pourquoi. Il accepte la décision à distance sans chercher à la comprendre mais elle le traumatise et le conduit aux portes de la mort. Il s’enferme dans une énorme solitude. Il perd le goût pour tout. Il change physiquement. Après plusieurs mois passés renfermé sur lui-même et ses angoisses, il refait surface en devenant un autre, métamorphosé par ce chagrin d’amitié. Il rencontre un nouvel ami qui va à son tour disparaître. Il devient ingénieur et dessine ou aménage les gares de Tokyo.

Il rencontre alors Sara avec qui il commence à nouer une relation amoureuse mais elle semble hors d’atteinte, comme séparé du monde par une frontière invisible, celle du non-dit. Sara pousse Tsukuru à reprendre contact avec ses anciens amis car elle sent que quelque chose a été brisé au moment de cette soudaine rupture amicale sans jamais être réparé.

Tsukuru entame un pèlerinage de Nagoya à Helsinki pour tenter de comprendre sa rupture amicale, de tourner la page et de retrouver Sara qui en a fait une condition à la poursuite de leur relation amoureuse.

Au-delà de l’analyse des sentiments et du caractère des personnages, la vie au Japon est merveilleusement écrite par Murakami dans un style simple et accessible. Les faits et gestes de la vie quotidienne, la confection des repas (encore plus détaillée et présente dans la trilogie 1Q84 et qui suggère que l’auteur aime sans doute bien faire la cuisine), les rapports humains très différents des rapports en occident (comme le passage où Tsukuru part réfléchir au milieu de la foule dans une des gares de Tokyo) permettent une certaine forme de voyage :

« Tsukuru ne savait pas très bien si la plupart des Japonais étaient vraiment malheureux. Ce qu’il savait en revanche, c’était pourquoi tous ces gens baissaient la tête : ils faisaient attention à leurs pieds. » page 347

Nagoya, troisième agglomération du Japon qui compte 9 millions d’habitants, est peinte de façon simple mais très juste et on sent toute la nostalgie du héros et de l’auteur.

Il en est de même de la description très juste de la campagne finlandaise qui m’a permis de retourner en pensée dans ce très beau pays :

« Tsukuru avait l’impression que le pays tout entier était recouvert d’un vert riche et frais. Il y avait beaucoup de bouleaux blancs, mais aussi des pins, des épicéas et des érables. Le tronc des pins rouges se dressait haut à la verticale, et les bouleaux, très touffus, laissaient tomber leurs branches bas vers le sol. Ces variétés-là ne se rencontraient pas au Japon. (…) Les exploitations agricoles étaient cernées de collines aux pentes douces, sur lesquelles il distinguait les silhouettes des bêtes qui paissaient. » page 270

La littérature étrangère est une forme de voyage et d’inspiration en restant confortablement dans son canapé au chaud lors d’une journée grise d’automne tout en se préparant au voyage «physique» qui bien-sûr reste le complément indispensable.